- Un peu de contextualisation !:
Ziggy Zolero, ancien vampire, est un écrivain déluré et original qui se sert d'un grimoire magique (Le Livre de Guthemberg) et de sa Plume d'Oie dorée pour faire devenir réalité tout ce qu'il rédige. Sur un coup de sang très propre au caractère flamboyant de notre dandy, celui-ci décide de mettre fin à une immortalité durant depuis deux siècles pour découvrir toutes les joies et peines de la vie mortelle afin qu'elle n'alimentent sa prose et ses idées. Ziggy est un être en constante évolution, refusant de se voir comme un acteur de son histoire mais comme la plume qui la narre. Ceci dit, s'il faut botter deux ou trois derrières et gagner de l'argent facile, l'amour de l'art de l'humain à tôt fait de déserter, et il se plie à l'exercice avec un entrain plutôt effrayant ! Alors asseyez-vous confortablement, car notre héros s'apprête à vivre une révélation incompréhensible !
Par une journée couverte, morose, et plutôt froide, je m'éveillais avec une légère douleur crânienne sûrement issue de ma soirée de la veille. Dans ma chambre régnait un air sec, et en dépit de la fenêtre ouverte donnant sur les étendues boisées du manoir familial, une odeur âpre de tabac froid venait cisailler mes naseaux.
Je grommelais et envisageais de me rendormir tant la lassitude m'habitais aujourd'hui, mais au bout de plusieurs minutes à fermer inutilement les yeux, je décidais de me redresser et de me diriger vers le bureau. Là, j'en appelais à mon grimoire ainsi qu'à ma plume pour que me vienne une tasse de café bien chaude, et pensais à ce que diraient mes maîtres sorciers des applications de leurs leçons.
Probablement rien, car ils étaient morts.
Je riais à cette pensée, puis penchais la tête en arrière, une idée germant des effluves bienvenues de la caféine.
Quelques instants plus tard, j'étais assis en tailleur au milieu de mes appartements, ayant tracé un pentagramme au charbon noir afin de m'adonner à une session de rêveries arcaniques. Cet art, transmise de génération en génération, de maître à apprenti, dans la lignée de thaumaturges qui m'avait enseigné, consistait en un voyage semi-conscient dans les contrées immatérielles du monde qui entoure le notre sans jamais le toucher. Les Limbes, l'Intangible, l'Immatériel, l'Au-delà, nombreux étaient les termes pour des royaumes plus vastes encore.
Au bout de quelques formules et gestes, appels et sommations, je sentais mon esprit quitter mon corps en cette sensation familière d'être happé dans les rouleaux d'une vague douce, tranquille, et toutefois titanesque et si profonde qu'aucuns yeux n'en avaient jamais vu le fond.
Je marchais à présent, depuis ce qui me semblait être une éternité, mes yeux voyaient des couleurs mortes, mimant le réel, afin que mon simple esprit mortel ne puisse en comprendre l'essence. Tout autour de moi, milles lumières scintillaient sur un parterre de flore indescriptible qui renvoyaient tout autant de figures géométriques bien loin des normes et nomenclatures de ce qui m'était connu.
Me voilà dans l'Immatériel, endroit où chaque venue n'est jamais la même et où toute chose est régie par des lois intemporelles et obscures, la retraite de tous les arcanistes et la convergence de l'éther des mondes. Ici toute chose est animée et parcourue d'esprits, et à qui tend une oreille attentive (et néanmoins prudente) une flopée de révélations attendent toujours. Des secrets noyés.
Je cueillais dans ma paume une fleur rougeâtre, aux accents iridescents, et en effleurait les pétales grumeleuses serties de petits joyaux. Chacun semblait scintiller de milliers d'étoiles, et abriter tout autant de galaxies, et comme mes yeux les scrutaient, je sentais mon âme parcourue d'un frisson agréable.
Mon corps, jusque là sans sensations de température ou de toucher, ressentait une étreinte ténue.
L'instant d'après j'avais plongé dans les eaux galactiques des pétales de fleur, et nageais parmi les étoiles contenues là-bas. J'entendais le chant de mondes lointains, l'esquisse de contrées aux géographies encore à découvrir, et me laissais porter par les flots magiques jusqu'aux rivages qu'ils me destinaient.
- Ziggy.
Perdu dans mes contemplations je n'avais pas vu s'ériger la forme pourtant gargantuesque des profondeurs éthérées des mondes insaisissables. Devant moi, au plus profond de ces voies lactées dans lesquelles flottait mon corps, se tenait une ombre aux formes indicibles. Mon esprit ne pouvait les comprendre, et pourtant, sa voix, elle, était aussi belle et claire que la rosée sur un jasmin.
- Regarde.
D'en dessous le courant se fit soudainement impérieux, l'Esprit qui s'adressait à moi agitait ses tentacules qui serpentaient bientôt, agitaient les eaux, dans tous les sens. Je ne bougeais pourtant pas, car telle était Sa volonté, et en un battement de cils la divine créature portait un miroir de taille humaine face à moi, m'invitant à en scruter le reflet. Qu'une entité de l'autre-côté daigne communiquer directement avec un voyageur onirique était un privilège, et je m'exécutais sans tarder.
Comme j'atteignais l'épiphanie souhaitée par mon Divin enseignant, des typhons et des krakens se déchaînèrent. Tout autour de moi, le calme des fleuves tranquilles, la torpeur et la beauté des étoiles contenues dans les pétales de fleurs se fracturaient, se déchiraient, hurlaient jusqu'à ce que je crois perdre toute santé mentale.
Le monde devenait noir, puis blanc, et bientôt de toutes les couleurs que je connaisse. Une révélation n'était jamais gratuite, et pour les esprits limités du royaume physique, parfois draconienne. J'avais peur, bien entendu, car rien de tout cela ne faisait aucun sens pour moi, si petit face au titan des eaux sans réelle forme de l'au-delà, mais acceptais l'éventualité d'être l'un de ces sorciers qui était allé trop, avait voulu connaître le secret de trop, quand tout aussi brusquement le calme revînt.
J'étais de nouveau face à la fleur dont je percevais les odeurs apaisantes, et alors que je croyais avoir halluciné tout ceci, l'épiphanie survenait.
Je voyais des lettres, cernées de lumières de néon, je voyais une entité aux formes vaguement humaines déchaîner ses appendices sur des mots, des sens et des phrasés, se régaler de milles figures de style aux sens seulement signifiant dans des royaumes lointains, je me voyais, exécuter les termes inscrits avec désinvolture, me courber aux exigences de ces mêmes affirmations, sans jamais questionner la réalité de mes actions.
Et je voyais le monde autour de moi se transformer sous les coups de ma propre plume enchantée, délivrant son encre créatrice sur les pages vierges de mon grimoire afin de canaliser ma magie.
Alors que je commençais à créer des images mentales qui me permettaient de lier ces révélations à une quelconque forme rationnelle, alors que mes doigts effleuraient une réalité aux aboutissants que je devinais dramatiques, et que mon cœur battait à tout rompre face à un don du savoir trop fort pour mes sens, je m'éveillais, trempé de sueur, au milieu de mon cercle de divination. Mon crâne abritait une myriades de cloches, toutes sonnant plus fort que les autres, et je lâchais un juron avant de me diriger vers les latrines.