Epreuve 1 • Légende • Dùralas [DU] - Lacrimosa [LC]

[229 mots]


Je la désirais si fort que mes pas m’avaient mené jusqu’à la sorcière de la région. J’étais déterminé, emmené par les sentiments que j’éprouvais et qui s’étaient renforcés à chacun de mes pas. Sorcière ou magicienne, peu importe, s’était présentée à moi en m’annonçant connaître les raisons qui m’amenaient. Et alors qu’elle me parlait entre sourire et regard grave, je hochais la tête sans entendre le moindre mot qu’elle avait pu prononcer.

Et elle me fixa d’un air navré avant de réciter son incantation. Ainsi le sort jeté sur ma personne, elle me rappela les consignes. Me tenir immobile dans les lieux préférés de cette Reine qui avait ravi mon cœur tout entier. Fébrile, impatient, je refis le même chemin qu’à l’aller, plongé dans tout ce que je me préparais à dire à mon aimée. Elle ne le savait pas encore mais elle s’en doutait, j’en étais certain ! Alors je me rendis dans les jardins du palais où elle aimait flâner. Sous l’un des plus grand ormes, je me plantai, déterminé à attendre. La sorcière me l’avait dit clairement et c’étaient sans doutes les seules paroles que j’avais retenu : Fermer les yeux, rester debout et fixe jusqu’au matin et ainsi, je pourrais être chaque jour à ses côtés. Plonger mes yeux dans ses onyx pétillants. Plonger mes doigts dans sa chevelure soyeuse.

Mais j’aurais dû mieux écouter la sorcière…

[123 mots]


Et la voilà que j’apercevais enfin sous l’une des arches qui encadrait le jardin. Le pas assuré, elle avança droit devant elle, au travers de bégonias qui semblaient saluer son passage.

L’allure fière de ma douce était celui des grands de ce monde. Elle évoluait en terrain conquis. Fleur de camélia, iris, clématites, autant de beautés végétales qui s'épanouissaient en ces lieux, et ne faisaient qu’ajouter à cette présence que nul ne pouvait ignorer. Au travers des feuillages épais des arbres majestueux, quelques traits de lumières mouchetaient son visage si expressif de points de lumière.

Elle s’arrêta non loin d’une fleur et respira son parfum avec grâce et indolence. Le regard concentré, elle s’en détourna finalement avant de se diriger dans ma direction.

[185 mots]

Mais je m’accroche. Je tiens bon. Je la regarde et rassemble à grande peine mon assurance. Elle m’a vu… Figée quelques secondes telle une biche aux aboies, elle m’observe. Oui je suis là, ai-je envie de lui crier avec passion. Mais rien ne sort de mon être. Je reste digne et droit sous mon orme et je la fixe aussi. Ses yeux d’onyx braqués sur ma personne, elle s’avançait enfin. Mon sang tambourinait à mes tempes chaque fois que la distance nous séparant se réduisait. L’espace d’une seconde, je repense à la sorcière et à son incantation. J’ai attendu si longtemps ce moment, celui où chacun de nous s’observe, où les mots deviennent inutiles quand les cœurs battent à l’unisson. Sa frimousse remua, interloquée sans doute par ma présence incongrue en ces lieux. Elle se tient droite, le corps tendu comme celui d’une guerrière véloce prête à fondre sur sa proie. Elle semble hésiter à m’aboyer dessus sans pour autant me considérer vraiment comme un intrus.
Je mobilise alors toutes mes ressources pour lui exposer mes sentiments, lui dire enfin :

Ma Reine, je vous aime…

[133 mots]

Le silence tomba et elle me fixa de ses grands yeux. Par pitié, parlez-moi, ma Reine, je ne saurais vivre plus longtemps sans air. Je retiens mon souffle alors qu’elle me fixe et semble légèrement amusée par ma colossale présence. Nullement impressionnée, elle approche son visage du mien, l’air pétillant de malice, inclinant la tête à droite puis à gauche. Comme un métronome, elle m’impose une véritable torture dans son absence de réponse. Je crois déceler un sourire et mon cœur fait des bonds à la seule pensée qu’elle va me répondre favorablement. Il ne pourrait en être autrement, sinon je crois bien que le trépas m’emportera sur place. Et enfin, elle amorce un mouvement. Ma respiration se coince, je ne bouge pas d’un millimètre, tendu et raidi par l’émotion.

Le temps s’arrête.

[128 mots]

Je la vis alors s’éloigner de moi dans un petit trot élégant, secouant sa parure à chaque rebond. Je ne pus rien faire de plus, la regardant s’éloigner ainsi de moi, gravissant les marches en deux sauts tout aussi gracieux et élégants qu’à son habitude. Je gardai alors pour moi seul mon sentiment profond de déconfiture, je me consolai à grand renfort de persuasion, me dit que je pourrai l’admirer chaque jour qui passe.

Planté là sous mon orme qui serait désormais mon toit à jamais, témoin de mon stupide empressement.

Pierre à jamais plantée dans ce jardin. Victime de la sorcière et de son sort, comprenant maintenant clairement pourquoi elle avait eut ce sourire si navré à mon égard.