Yasuo le Disgracié

Son physique est sans aucun doute assez banal pour une personne rompue dans l’art de propager la mort. Mesurant près d’un mètre quatre-vingt, pour une masse n’excédant guère les soixante-dix kilogrammes, Yasuo est donc assez loin de l’archétype du soldat en armure lourde. À vrai dire, cet équilibre subtil lui permet d’exercer ses talent dans une légèreté et une rapidité pouvant s’avérer surprenantes pour les non-initiés. À force d’entraînement, ses muscles se sont finement dessinés sur son corps.
Son visage légèrement allongé, à la pilosité contrôlée, porte-lui aussi le poids des années, particulièrement depuis qu’il a quitté les terres de sa naissance et dû retourner sa lame contre ses anciens amis. Ainsi, sous les traits guerriers, l’on peut retrouver sa détermination sans faille, mais également une étrange lassitude durement installée. Tant de choses qu’il laisse souvent transparaitre à l’intérieur de ses yeux légèrement bridés aux iris marron n’accentuant encore qu’un peu plus ces sentiments.
Ses longs cheveux bruns, au reflet bleu nuit sous l’impact de la lumière du soleil couchant, sont constamment tirés en arrière afin d’être attachés vers le milieu de son crâne. Formant ainsi, une magnifique queue de cheval aussi hirsute que bestiale à mon sens.
Yasuo, n’est pas un adepte des protections intégrales, en effet, le bon vagabond est souvent le torse à nu ne portant qu’un étrange col aux couleurs du ciel capable de cacher la partie inférieure de son visage, accompagné d’un pantalon arborant les mêmes tons, assez bouffant noué par une large corde tressée faisant office d’obi. Des kote à motif sont noués à ses avant-bras par des lanières en cuir, tandis qu’un sode finement ouvragé représentant sans aucun doute des ailes, symbole d’air, protège son épaule droite. Enfin les pieds nus du samurai béni par le vent sont protégés par des sunaete, arborant les mêmes couleurs et les mêmes motifs que ses kote.
Les possessions de Yasuo sont assez pauvres, hormis son sabre rappelant par sa simple garde ou son pommeau le souffle de vent. L’on ne peut guère dire que le vagabond est très riche. Cependant, il garde en permanence une gourde sculptée en bambou ainsi que sa flûte meilleure partenaire dans ses moments de quiétudes.

Yasuo est un guerrier mû par un sens de l’honneur et un code strict. Ainsi, même s’il est aujourd’hui considéré comme un traitre et poursuivi sans relâche, il n’est pas dû genre à répandre la mort gratuitement. Lui-même avait décidé de fuir durant de longues années, mais l’affrontement contre son frère fit naître en lui un espoir de restaurer son honneur bafoué. Ainsi, la détermination qui le poussait à survivre n’en devint que plus forte, mais ayant appris de ses erreurs passées que l’impatience et l’orgueil le mèneraient à sa perte, celui-ci s’est désormais rangé du côté de l’équilibre et du vent.
Rien n’est plus important pour lui que son honneur et il se refuse à mourir tant que sa tâche ne sera guère accomplie. Son sabre n’est tiré qu’en cas d’attaque. Il ne fait que répondre aux provocations meurtrières de ceux qui sont dans le flou, lui ne protège que sa vie pour atteindre son but. Les combats incessants ont d’ailleurs fait germer les graines de la lassitude, lui faisant prendre conscience que les lames ne sont pas de bons compagnons de voyage.
Hormis cela, Yasuo est un homme juste et droit. Capable de compassion et peut-être même bon vivant avec un verre à la main. Il préfère se souler plutôt que tirer son sabre pour tuer.
Ses errances l’ont menait à faire certaines rencontres, tisser des liens avec des gens qui sont devenus importants pour lui et qu’il respecte du plus profond de son être, il a d’ailleurs joué les professeurs durant une passade de sa vie, démontrant que les enseignements de son défunt frère ne furent guère vains.
Aujourd’hui, Yasuo continue d’arpenter les routes dans le seul but de punir celui qui a tué son ancien maître. Sa droiture et son calme sont désormais ses armes, plutôt que son sabre si lourd.

 
 
Voilà de longues années que j’arpente les routes de Ionia à la recherche d’un assassin. Nombre d’années durant lesquelles, la mort n’a quitté mon chevet. Aujourd’hui, cela fera quatre jours que j’ai laissé partir le petit Oiselet. Quatre jours de marche pour trouver un peu de calme et de réconfort, dans le froid mordant de l’hiver. Une capuche sur mon visage, ma gourde à la ceinture et mon Katana dans son fourreau, j’avançais sur la terre de ce sentier, ne léguant derrière moi que le silence de soldats qui pensaient rendre la justice. Mes cheveux fous flottaient au vent, attaché par le cadeau de celle qui fut mon élève. Cette rencontre avait laissé en moi une empreinte profonde. Elle m’avait fait comprendre mes erreurs du passé au travers des yeux de cette jeune shurimienne. Je l’avais incité à gagner Frejlord pour pouvoir retrouver la route de son pays
Je me souvenais de notre enfance dans l’école. Parfois, des gens venaient rendre visite aux maîtres, et l’un d’eux était de Frejlord. Ce fut à ce moment-là que j’appris que certains frejlordien ne comptaient pas Noxus dans leur cœur. Ce fut au moment de la guerre qui allait ravager ma patrie et mon honneur.
Aujourd’hui, tout cela me semble bien loin, et alors que j’avançais sur ce sentier, les oiseaux alentours vinrent à s’arrêter de chanter. Un changement drastique d’ambiance commençait à s’installer peu à peu, et chacun de mes pas me donnait la nausée, comme si quelque chose que je redoutais allait finir par se produire. Le soleil froid de l’hiver se faisait voiler par d’épais nuage sombre annonçant une pluie tumultueuse accompagné d’un fort vent. Sur la route, le calme régnait, mais pourtant, mes jambes se stoppèrent. Non loin de moi se tenait un homme qui avançait.
Un chapeau de paille, jaune, triangulaire m’empêchait de voir le visage de cet inconnu qui approchait, mais ses déplacements je pouvais les reconnaître entre mille. Tout comme la tenue bleue qu’il portait sur son dos. Cette même tenue que jadis j’avais osé déshonorer. Aujourd’hui, je n’en traînais plus que des loques déchirées par mes soins pour me dissimuler au mieux. Bien sûr, il y avait également cette capuche rabattue sur ma face qui empêchait toute reconnaissance de la part de l’individu, et pourtant je savais qu’il avait compris.
— Cela fait longtemps mon frère.
Sans retirer son chapeau, la voix cristalline de Yone venait de me traverser les tympans. Comme si je ne pouvais plus échapper à mon destin, le vent fit s’envoler la capuche qui retomba lentement sur le sol. Mes yeux sombres braqués sur l’homme qui venait de parler, je le vis ôter sa coiffe. Son visage n’avait que peu changé, ses traits s’étaient durcis et ça et là des cicatrices le marquaient, mais je pouvais encore ressentir l’individu de compassion qui se cachait sous le masque du guerrier.
Lentement, il esquissait un sourire triste avant de se mettre en position de combat. Lui aussi me prenait donc pour un assassin ? Je voulais l’arrêter, l’empêcher de commettre l’irréparable, mais notre code de l’honneur était strict. Je ne pouvais me soustraire à l’affrontement. Ainsi, j’adoptais la même posture que lui.
Mon corps se tournait, tandis que ma jambe gauche s’avança, la gauche était en arrière, formant un léger angle pour assurer un équilibre certain. Le poids de mon corps pouvait ainsi se transférer d’une jambe à l’autre en quelques secondes uniquement. Ma main droite se posa sur la poignée de mon épée, tandis que ma main gauche soutenait mon sabre accroché à la ceinture.
Nous n’avions guère le choix, c’était notre destin de finir ainsi et quelque part je l’avais toujours su. Depuis le premier jour où j’avais occis le premier élève de mon école... Les yeux clos, j’écoutais le vent siffler, tandis qu’au loin le tonnerre grondait. Une tempête approchait et je me devais d’y être préparé. Cette tempête, c’était l’homme qui se tenait devant moi. Celui qui jadis fut un guide, capable de m’apprendre la patience alors que je n’étais qu’un enfant orgueilleux. Celui qui avait su m’épauler dans l’adversité et me rappeler aux leçons les plus élémentaires de notre école.
C’était cet homme-là qui se tenait devant moi. Je sentais effectivement que le poids des années avait fini par le marquer et qu’il était accablé par le chagrin que je pouvais représenter. Pour lui, je ne devais être qu’une épée sans fourreau, mais je savais qu’il était dans le faux... je n’avais pas tué cet ancien. Les mots étaient inutiles. C’était notre honneur qui allait s’affronter par nos lames, mais Yone n’était ni le plus fort, ni le plus rapide des élèves de l’école. Il était peut-être le pire choix possible pour cette périlleuse mission.
Bien sûr... je ne doutais pas que c’était lui-même qui l’avait demandé aux maîtres, mais pourquoi mon propre frère me croyait-il coupable d’un crime que je n’avais pas commis ? Les sentiments se mirent de côté, tandis qu’ils étaient temps de dégainer. Le combat fut des plus bref.
Yone tenta de me prendre de vitesse, mais son fer n’eut pas l’occasion de quitter son fourreau que mon épée avait déjà lacéré son corps de bas en haut, selon une diagonale précise. L’entaille était meurtrière et le sang de mon propre frère éclaboussait mon visage, tandis qu’il s’écoulait sur la lame d’acier. Mes mains tremblaient légèrement, alors que j’en vain à lâcher mon sabre pour aller au chevet de mon parent mortellement blessé.
Mon arme s’écroula sur le sol, tandis que je posais la tête de mon frère sur mes genoux. Les larmes sillonnaient mes joues, pendant que je sentais déjà sa chaleur s’évaporer. L’émotion était trop forte, je ne pouvais la contenir. Moi qui d’habitude étais si stoïque avais fini par fondre en pleurs le corps meurtri de mon frère dans les bras. Je lui posais l’unique question qui me brulait les lèvres.
— Comment peux-tu me croire coupable de ce meurtre Yone ?
Il me fixait de ses yeux sombres. Je pouvais déjà sentir son regard se vider, tandis qu’il laissait échapper les dernières larmes de son organisme. Il m’expliqua alors dans différents râles que l’ancien avait été tué à l’aide d’une technique du vent. Je comprenais mieux pourquoi l’on m’avait accusé. De toute cette génération, j’étais l’unique élève à pouvoir compter le vent parmi mes alliers. Le flot d’émotion qui me traversa alors fut sans précédent. Je saisissais enfin pourquoi l’on me traitait d’assassin. Les raisons étaient valables, mais la vérité était tout autre. J’étais le seul à la connaître, et je ne pus m’empêcher de la clamer devant mon frère.
— Je n’ai pas tué l’ancienne Yone... je ne l’ai pas tué ! Ce n’est pas moi.... pardonne-moi...
Les mots me manquaient pour exprimer ce que je ressentais, mais plus que les mots, c’était le temps. Chaque seconde qui s’écoulait rapprochait mon frère de sa triste fin. Il l’avait toujours su c’est certain, mais je ne pouvais m’empêcher de m’en vouloir. Son buste cessa de se relever et ses yeux s’étaient fermés lentement. Yone n’était plus, mais l’homme que j’avais aimé n’avais pas disparu. Sur son visage sans vie, ne restait qu’un sourire signe qu’il avait compris que je n’étais pas l’assassin.
La journée avançait et l’aube arriva enfin, ce fut à ce moment-là que je terminais sa sépulture. Son épée plaçait sur le monticule de terre fraîchement retourné, je me pris à une réflexion.
— Combien de temps pourrai-je poursuivre ? Même les plus puissantes rafales finissent par mourir.
Le visage grave, je laissais échapper les dernières émotions, avant de retrouver ma contenance. Désormais, j’avais un indice à mon but, un indice suffisamment fort pour savoir que ce n’était pas sur cette île que se trouvait le véritable coupable. Ce fut à ce moment-ci, alors que la détermination se faisait luisante dans mon regard, que j’entonnais la promesse qui allait régir le reste de mon existence.
— Je te promets de suivre la voie de la vérité Yone. Je te promets de retrouver le véritable assassin, celui qui est responsable du sang qui souille mes mains.
Il m’avait appris l’humilité, et les vertus de la patience. Je ne pouvais continuer de fuir au risque de bafouer son honneur. Mon frère avait cru en moi, et je souhaitais lui donner raison. La gourde dans ma main droite se leva jusqu’à mes lèvres pour m’imprégner d’alcool, avant que je ne laisse quelques gouttes tomber sur le sol. Sans un regard en arrière, je récupérais mes frusques sur le sol, pour reprendre ma route poussée par le vent, vers une toute nouvelle destination.