Elle ferma les yeux, il était là, elle le sentait. Ce courant d'air frais au dehors, mais celle chaleur au dedans, comme si quelqu'un emplissait son être de bienveillance et d'amour. Elle ne savait jamais comment cela fonctionnait, elle n'avait jamais pu l'expliquer, jamais pu le prouver, jamais pu prouver qu'elle n'avait pas sa place ici, à Sainte-Anne. Elle détestait cet endroit. Il sentait la mort et parois l'urine.
Pourtant, quand ses visiteurs venaient lui rendre visite, toujours à des moments inopportuns, elle s'évertuait à écouter autant la voix qui résonnait, chantante, à ses oreilles que les voix des habitants vivants de ce monde. Bien sûr au début, ses dons pour le spiritisme avaient fascinés, ils avaient été si bien perçus, ils étaient tellement novateur, tellement à la mode qu'elle pensait n'avoir jamais à se soucier de rien. Cependant, dès qu'elle avait commencé à expliquer que cela ne se faisait pas sur commande, que les tables ne pourraient fonctionner, que les esprits venaient à elle et non qu'elle les invoquait, on l'avait traitée de folle.
Et puis dans la chambre d'en face, il y avait cet homme qui faisait comme elle. Qui lui aussi percevait des voix, mais qui s'était muré dans un silence particulièrement fermé. Elle le savait uniquement parce qu'une ancienne infirmière décédée dans un escalier proche de sa chambre le lui avait dit. Parfois elle aurait aimé parler à cet inconnu, lui dire qu'elle comprenait sa peine, qu'il trouverait en elle une amie fidèle, qu'il pourrait se confier enfin de son si lourd fardeau. Alors elle essayait, elle tentait de l'appeler, elle tentait de lui faire signer quand ils pouvaient sortir de leur chambre, elle tentait... oui, elle tentait. Mais rien n'y faisait, jamais il ne prêta attention à elle.
Jusqu'à ce jour-là.
Ils étaient de sortie dans le petit parc de Sainte-Anne. Elle marchait sous les arbres, seule, quand elle le vit, affalé sous l'un d'entre eux. Elle s'approcha et le héla pour ne pas l'effrayer. Il ne bougea pas. Puis, quand un infirmier vint les chercher pour les ramener dans leurs chambres, elle le vit lui, se lever, suivre l'infirmier et lui jeter un coup d'oeil furtif en passant. Elle ouvrir la bouche, mais il feinta une quinte de toux et l'infirmier le prit par le bras pour l'aider à rentrer, laissant la jeune femme les suivre. Elle soupira. Au moins savait-elle qu'il l'avait vue et entendue, il n'était donc ni sourd, ni aveugle, ni plongé dans une torpeur due aux médicaments, rien de tout cela.
Le lendemain, c'est au repas, quand elle approcha de sa table et s'installa face à lui, qu'il leva furtivement les yeux. Cependant, une fois encore il se contenta d'avaler son petit déjeuner et, dès qu'il eut terminé, renversa son assiette. Il fut isolé pendant une semaine entière pour cela. La pauvre internée n'en pouvait plus de ce jeu du chat et de la souris. Elle voulait en parler au docteur, mais comment aborder la question sans paraître plus folle encore ? Elle ne croisait déjà que très peu d'hommes, mais si elle mentionnait un intérêt pour lui, on lui ferait sans doute subir un curetage de force pour s'assurer de ne pas avoir un bébé de folle sur les bras.
Elle décida de remettre son projet à plus tard et d'attendre encore une sortie avant d'essayer d'entrer en contact avec lui. Peut-être était-il mort et perdu ? Peut-être était-ce pour cela qu'il n'osait parlé ? Mais elle était persuadée pourtant de l'avoir vu manger au repas, ce ne pouvait donc pas être ça. Peut-être avait-il entendu des choses horribles dites par les morts ? Elle ne pouvait pas le savoir. Alors elle se contenta d'attendre et attendre encore.
Enfin le jour arriva où il s'installa contre un arbre, non loin d'elle, de son plein gré. Il s'accroupit et jeta un oeil derrière son épaule, l'infirmier papotait avec un de ses collègues et ne prêtait pas attention à eux. Alors enfin, elle entendit sa voix, suave, chaude, éraillée par le temps passé à rester muet comme une tombe :
- Je ne pensais pas te trouver ici. Je n'étais sûr de rien. Je me suis fait transférer dans 3 hôpitaux différents pour te retrouver. C'était mon dernier espoir, mais si je veux sortir, je dois persuader le docteur que je ne suis pas fou.
Un rien dans le regard lui était familier, un grain de beauté, le brun profond et orageux de ses yeux. Elle reconnaissait la tempête intérieure qui l'animait mais...
- Je suis désolé de t'avoir ignorer si longtemps, tu vas pouvoir repartir avec moi cette fois, mais il faut que tu t'accroches, accroches-toi au souvenir.
Elle était de plus en plus perplexe et ne comprenait pas, mais elle avait déjà vu cet homme, bien avant, il y a si longtemps... Combien de temps déjà ?
- Je t'en prie, il faut que je te sortes d'ici, avec moi. Mon évaluation est cette après-midi, elle sera parfaite. Je t'en supplie souviens-toi, accroche-toi !
Elle leva la main pour caresser sa joue et passa au travers de lui. Bien sûr, il était forcément un esprit, mais alors de quoi parlait-il ? Pourquoi voulait-il l'aider alors qu'elle ne voulait qu'être avec lui, pour son bien-être, pour qu'il puisse se confier à elle ?
- Je t'en supplie... Maman...
Alors elle se souvint.
Elle se réveilla, haletante, tremblante, prête à fondre en larmes et pourtant, Aiko avait déjà oublié pourquoi. Après s'être essuyé les yeux d'un revers de manche, elle regarda le dessin de son grand-père qu'elle avait mis sous son oreiller et trembla légèrement. Elle avait vu par les yeux d'une femme, elle en était certaine, mais elle ne savait pas qui. Déjà la vision s'effaçait en elle et elle se sentit engourdie, frigorifiée, fatiguée.
Elle reposa la photo sur sa table de chevet, plissant les yeux sur l'étrange ombre présente derrière l'image de son grand-père, sans doute un malheureux coup de crayon mal gommé, et rageant de s'être réveillée après un cauchemar d'enfant, elle se recoucha. Jusqu'à sentir une main frêle et fraîche sur son front :
- C'était un bon petit lui aussi... Dors bien Aiko-chan.
- Aiko et SAO :
L'univers de SAO est un univers de jeux vidéo où les joueurs ont été piégés et doivent combattre les boss des 100 étages pour s'en sortir (version simpliste, j'en conviens)
Aiko elle, est une jeune fille tout à fait "normale", elle a bien connu son grand-père et un peu son arrière grand-mère, avant d'être enfermée dans SAO. Elle vit un peu au jour le jour, sortant "chasser" des monstres la journée, rentrant le soir exténuée et la solitude se fait fortement sentir, d'où les nombreux dessins de sa famille qu'elle conserve. Après tout ce temps seule, cette rêverie étrange la tire du sommeil maiiiis est-ce l'imagination ou la folie héréditaire de sa famille qui s'exprime à travers ces mots ? À vous d'en jugez car, que vous y croyez ou non, les esprits de nos disparus hantent, sinon des murs, au moins notre mémoire à tous...