Epreuve 4 • Frères ennemis • Open World [OW] - Kobe High School [KHS]

Certains maux ne peuvent être conviés par des mots et ne trouvent aucun écho dans d'autres cœurs que celui qui souffre de cette douleur indescriptible. Un état contradictoire qui appartient à un homme brisé. C'était ce que Redrum ressentait, du plus profond de son être. Rien ne le chamboulait, ni ne l'entravait. Ce « rien » à la place du « tout » était ce qui lui pesait énormément et lui laissait une impression douloureuse. Le néant — voilà ce que Redrum craignait le plus.

Ce que n'importe qui désignerait comme de la quiétude, représentait donc le néant. Tel un aveugle découvrant enfin la lumière mais que les formes et les couleurs déstabilisent, ou encore un sourd qui entend pour la première fois de la musique mais ne perçoit qu'une cacophonie  — Redrum était perturbé par ce néant dans son existence. En proie au doute, il se laissait envahir par une tourmente nouvelle.

Perdu dans un ciel étoilé très vaste, flottant au sein d'une voûte céleste, le démon errait à nouveau. Ce n'était pas quelque chose d'inédit, errer faisait partie de ses habitudes. Parfois il croisait d'autres personnes, d'autres fois, eh bien, il ne croisait justement personne. Ce qu'il vivait quotidiennement était plus ou moins similaire à un Purgatoire, ce n'était ni l'Enfer, ni le Paradis et cela n'avait aucune finalité; lui donnant largement le temps de se remettre en question et de se torturer davantage.

Redrum se perdit dans ses souvenirs, interrogant le commandant démon d'antan qu'il était car lui n'avait pas la certitude d'être quelqu'un d'autre. Ce qu'il revoyait à travers des scènes familières lui était inconnu en même temps. Ce fut alors qu'il songea à Lorelei dont il croyait apercevoir les traits en une paréidolie, dans le firmament des étoiles. C'était la première fois depuis son trépas qu'il pensait à elle et alors, elle envahit toutes ses pensées.

Lorelei était son portrait craché. presque un fragment de lui ou plutôt une extension de sa propre existence. Un être qui n'aurait pas pu exister sans lui. Il se mit à tirer une certaine satisfaction de ce fait, probablement la même qu'à l'époque. Il se remémorait des raisons pour lesquelles il l'avait crée et ce n'était qu'un caprice de sa part. La plupart des démons naissaient grâce à des incubateurs, les démons nés de l'amour n'étaient pas exclusifs en temps de guerre. C'était donc par le biais d'une machine complexe qu'il avait pu créer une fille à son image. Il l'avait fait uniquement pour lui et son envie de vivre, de laisser quelque chose derrière lui, probablement. Redrum se souvint d'avoir chéri Lorelei à sa naissance, plus que sa propre vie, d'avoir souhaité — l'espace d'un moment — un avenir pour elle. Pourtant, ces intentions avaient fini par disparaître. En y repensant, il prit une expression amère et douloureuse.

Il se perdit en conjectures, ressassant les possibilités qui s'étaient offertes à lui autrefois. Aurait-il pu l'aimer comme un père ? Malgré qu'il se posait cette question enracinée dans le simili regret, Redrum savait qu'il était incapable d'aimer Lorelei normalement. Il ne la voyait que comme une partie de lui, qu'il s'était arraché et qui avait pris forme. En prenant conscience de cela, aussi cruel et puéril que ce fut, il n'avait plus jamais pu considérer Lorelei comme un individu à part. Voir Lorelei lui faisait l'effet d'un miroir. Elle représentait ce qu'il avait perdu, si bien que le père était écœuré par cette image de sa fille. Il avait en horreur ce commandant démon qu'il était devenu et, faute de se souvenir de ses réelles ambitions, il avait comblé ce vide par de la folie. Avoir oublié l'angoissait au point de déformer cette peur en mal-être. Le néant était déjà sa hantise. Lorelei était le comble de cette folie.

Leur relation était vouée à l'échec mais Redrum s'était employé à la faire stagner, à avoir le contrôle. Il méprisait Lorelei et pourtant il ne pouvait pas l'éloigner de lui, ni s'en séparer. Il l'avait gardée et élevée soigneusement juste pour la voir prendre le même chemin que lui, la même décadence, jusqu'à ce qu'elle se brise, parce qu'en l'anéantissant, il avait la sensation de détruire sa propre faiblesse — d'annihiler sa propre image. Cette mise en abîme était perverse et malsaine, cependant, c'était la seule façon qu'il avait de « l'aimer ».

Jusqu'au fameux jour où Lorelei le trahit et le poignarda littéralement dans le dos. Plutôt que de se laisser achever dans la déchéance de son âme, elle avait préféré suivre les espoirs d'une angelette. Cette différence fondamentale de choix, que Redrum n'aurait jamais envisagé pour lui ou elle, fut le déclencheur de bien des choses, dont l'obsession du père quant à retrouver sa fille. Il s'employait à la pourchasser pour la récupérer de la même façon qu'il souhaitait recouvrer ce que lui avait égaré après des siècles de guerre.

Redrum se fit une réflexion cynique, poussant un soupir narquois sur sa propre introspection. Il mit au jour d'avoir toujours été motivé par un cycle vicieux : le besoin maladif de combler un vide. Même ce ciel vaste se moquait de lui et lui rappelait son existence étrange. Il était semblable à la voûte céleste, pareil que ces étoiles au loin, insaisissables, qui brillaient mais qui montraient le passé de l'Univers. Redrum demeurait le spectre de ce qu'il croyait avoir été. Il avançait à reculons, en regardant derrière lui. Sa Lorelei était comme une étoile qu'il pourchassait dans la nuit et qui, en l'atteignant enfin, s'est éteinte à jamais, de sa propre main. En la supprimant, il avait déjà posé un pied dans les abysses. Il était déjà mort lui aussi. Seulement maintenant, il put enfin comprendre pourquoi cela lui avait arraché le cœur de prendre la vie de sa propre fille. Ce n'était pas une sorte d'affection mais purement de la désillusion, pas plus réelle ou fausse qu'un reflet dans un miroir qui montre la réalité mais qui n'existe pas en tant que tel.

Il n'y a aucun mot pour décrire ses maux puisque le néant, le vide, le « rien «, l'« aucun » sont le fléau de ce démon dérangé.

* * *

* * *

* * *

* * *

* * *

* * *

* * *

* * *

* * *

* * *

* * *

* * *

* * *