Epreuve 6 • Transmogrification • Madelle [MA]

“Attention…!!”

Assez banal comme avertissement. Convenu, diraient certains. Vu et revu, diraient d’autres. Pourtant, Onyx n’aimait pas faire dans le banal, dans le convenu, dans le vu et revu. C’était une brute épaisse, fier comme un lion, dangereux comme une avalanche, et il avait l’arrogance de se prétendre meilleur que les forces de la nature. Alors, plus que l’éclat de la gemme qui brillait dans la main du Follet, ce fut cette exclamation qui le surprit. Il en oublia, d’ailleurs, de lâcher cet artefact dégoulinant d’une Vérité qui lui était inconnue, et son regard se reporta sur l’immense dragon noir qui avait senti le danger arriver. Ses prunelles rouges captèrent celles du mastodonte, il y vit son propre reflet dans ces éclats reptiliens.

Il aurait dû se douter, pourtant, de la dangerosité d’une gemme trouvée au milieu des ruines d’un ancien temple d’Uraang. Mais la prudence n’avait jamais fait partie des caractéristiques du Liare fou qui servait de dragonnier à Onyx. Il n’avait perçu que ce scintillement doré et sa curiosité enfantine avait pris le dessus.

L’avertissement d’Onyx, pourtant, lui semblait soudain plus divertissant.

Ladh finit par lâcher la pierre, qui tomba au sol dans un bruit mât. Il baissa la tête, et lorsqu’il la releva, le dragon noir était plus gigantesque qu’il ne l’avait jamais été, ce qui était d’autant plus surprenant qu’il atteignait déjà des proportions titanesque, même pour un dragon. Ses crocs semblaient capables d’arracher des fragments de montagne, ses six yeux étaient si larges que le Follet pouvait y distinguer chaque nuance de couleur, et ses écailles pouvaient être énumérées sans la moindre difficulté. Le Follet l’observa, cillant légèrement, puis éclata de rire.

-Regarde-toi ! Tu es gigant-...

Il s’interrompit et écarquilla les yeux, stupéfait.

-Eh mais...Ma voix…?

Onyx cligna des yeux, ahuri, puis il éclata de rire à son tour. Son rire était tellement tonitruant qu’il fit vibrer les os du Follet et pénétra chaque cellule de son corps. Ladh ignorait la raison de ce rire, mais il se laissa emporter à son tour...sauf que les sons qu’il émettait étaient bien plus ridicules.

“Tu es un dragonnet, Follet !”

Ladh cessa de rire et arqua un sourcil. Il baissa les yeux vers son propre corps et avisa des antérieurs griffus à la place de ses bras. Ses écailles étaient écarlates et ses membres trapus. Ladh releva sa tête triangulaire vers le mastodonte noir qui lui faisait face, puis il tourna sur lui-même pour tenter d’apercevoir ses propres ailes qui battirent mollement dans son dos. Le Follet gloussa joyeusement.

-Cela explique ma soudaine faim de larves ! s’amusa-t-il.

“Les dragonnets ne mangent pas de larves, petit lézard”, rétorqua Onyx avec une moue moqueuse qui dévoilait ses terrifiantes rangées de crocs acérés.

-Eh bien moi j’en ai faim. Dis, tu m’apprends à voler ??

Onyx leva les yeux au ciel et fit volte face. Ses pas firent trembler le sol tandis que Ladh se baissait pour éviter son épaisse queue noire. Sans même prêter attention à l’absence de réponse de son ami, le Follet ramassa entre ses crocs la gemme dorée et partit à la poursuite du mastodonte. Pour chaque pas de ce dernier, il devait en parcourir douze. Cela lui importait guère car il en profitait pour observer le monde avec ses nouveaux yeux, se plaisant à apercevoir des détails impossibles à ses yeux de Liares, des couleurs qu’il ne pensait pas exister, et c’était sans compter les milliers de nouvelles senteurs qui se portaient à ses naseaux. Le monde était tellement plus divertissant ainsi, avec ces pensées nouvelles au creux de sa tête, lui chantonnant des instincts qu’il ne connaissait pas : courir après un papillon, juste parce qu’il voletait près de lui ; gober un insecte un peu trop près de son museau ; s’envoler loin dans le ciel pour rejoindre un oiseau qui s’y était égaré. Mais ses ailes pendaient inutilement dans son dos écailleux, tandis que sa queue remuait avec enthousiasme. Le Follet était un dragonnet, et il ne pouvait pas voler.

-’eut-être ‘eu je ‘evrais ‘e jeter ‘une ‘alaise ? articula-t-il à travers la gemme dorée entre ses crocs, coursant toujours Onyx de ses petites pattes.

“Si tu savais le nombre de dragonnets morts en se jetant d’une falaise, tu comprendrais que tu es plus fou qu’ils ne le disent !” ricana la voix mentale d’Onyx.

Les ruines du temple s’étendaient encore autour d’eux en un amas de pierres et de voûtes brisées. Onyx s’arrêta près d’un autel encore intact qu’il désigna de sa tête cornue au minuscule dragonnet qui le suivait joyeusement.

“Monte là-dessus, Follet, avant que je ne te dévore d’agacement.”

-’ai je ‘eux ‘oler ! protesta le Follet.

“Tu ne voleras jamais avec de si petites ailes, lézard, sauf avant que je ne t’écrase entre mes crocs. Monte là-dessus.”

Ladh connaissait assez son dragon fou pour savoir qu’il ne mentait pas. Têtu, il envisagea de refuser mais jugea que cela pourrait être un jeu amusant. Toujours très enthousiaste, il planta donc ses serres dans la pierre et escalada l’autel en pédalant de ses postérieurs épais. La gemme dans sa gueule se mit à rayonner si fort que le Follet, intrigué, la lâcha. En touchant l’autel, un éclat aussi vif que celui qui avait valu une banale exclamation d’Onyx fit ciller le dragonnet-liare. Mais quand il baissa les yeux vers la gemme, il eut la grande déception de se découvrir plus Liare que dragonnet, comme ses pieds nus pouvaient en attester.

Le Follet avait retrouvé son apparence normale.

Il leva les yeux vers Onyx, qui lui sembla bien plus petit. Le ciel, également, était bien plus terne, mais il était également bien plus inaccessible. Ladh observa les cieux avec un mélange d’ennui, de lassitude, et de déception. La voix de son dragon résonna dans sa tête.

“Allez viens. On va brûler des trucs.”

Et juste comme ça, l’appel de la liberté, la nostalgie d’une âme ennuyée, la solitude d’un Liare égaré, disparut lorsqu’il grimpa sur son dragon pour se hisser vers les cieux tant désirés.