Candidat : Sona
Date : 21 Septembre, 20 CLE
OBSERVATIONSona progressait en glissant sur des vents harmonieux, sa robe élégante frémissant doucement derrière elle tandis qu'elle pénétrait dans le grand hall. Ses cheveux ondulaient au gré d'une brise invisible, des perles d'eau se dissolvant dans l'or de ses longues mèches. Elle aurait pu passer pour n'importe quelle servante de la magie, n'importe où sur Runeterra, s'il n'y avait eu l'étrange instrument devant elle, qui semblait à la fois la protéger et la guider.
Le bâtiment émit un bruit discret, les fondations jouant sous les effets d'une puissante magie. Elle tendit l'oreille vers le son, restant immobile bien longtemps après sa disparition. On voyait bien que le son résonnait toujours dans sa tête, elle en analysait le timbre, les harmoniques, et surtout le danger. Elle ne regarda même pas son environnement, la symphonie intérieure du bâtiment suffisait à tout lui dire sur ce lieu.
D'un mouvement imperceptible, elle pinça une corde sur son instrument et les portes s'ouvrirent grand devant elle. Elle entra sans hésiter.
RÉFLEXIONLes ténèbres l'enveloppaient, aussi profondes que le silence qui l'avait toujours affligée. Elle ne craignait pas la mort aussi longtemps que l'etwahl était dans ses mains. Elle serrait amoureusement l'instrument, ses doigts courant délicatement sur les pièces de cuivre et les cordes tendues. S'appuyant sur lui de la joue, elle ferma les yeux et attendit. En de semblables moments, elle avait le sentiment que l'instrument palpitait dans ses bras, respirant amplement en veillant sur sa maîtresse. Elle aimait ces instants, quand elle était seule au monde avec son instrument bien-aimé, enveloppée dans son cocon protecteur.
Soudain, l'etwahl sembla se raidir. Elle caressa la douce courbure de métal, comme pour l'interroger. Avant qu'elle n'obtienne une réponse, une voix rauque retentit.
« Sona ! »
Les yeux de Sona s'ouvrirent grand au seul son qu'elle préférait à la musique elle-même. Elle se trouvait au pied d'un domaine de Demacia, elle regardait par la porte ouverte, aussi émerveillée aujourd'hui que le jour où elle avait effectivement découvert sa nouvelle demeure. Lestara Buvelle se tenait devant elle, dans une riche et belle robe de velours. Étincelante de bijoux, environnée d'une capiteuse fragrance, Lestara s'avança, son visage illuminé par le bonheur.
« Ma chérie, regarde-toi ! Tu es une véritable femme désormais, et tu as magnifiquement réussi. »
Lestara enlaça Sona puis recula d'un pas pour mieux la dévisager.
« Réellement, je suis fière de toi. Mon cœur chante quand je te regarde. Viens, assieds-toi à mes côtés un instant. »
Lestara emprunta le long couloir, ses pas effleurant les tomettes en un staccato léger. Le cœur de Sona était empli de bonheur, et elle tendit la main pour sentir l'acier rassurant de son instrument.
Sa poigne ne se referma que sur du vent.
Sona se retourna, cherchant l'etwahl du regard. L'aurait-elle déposé quelque part dans un moment de distraction ?
Soudain, un accord retentit, perçant, dissonant. Sona se tourna dans cette direction et aperçut l'etwahl qui semblait dériver lentement dans le couloir. Sona rappela l'instrument mais, pour la première fois, il n'obéit point. L'accord reprenait encore et toujours tandis qu'il approchait du dos de Lestara.
Il avait soif de sang.
Sona courut fébrilement dans le couloir, mais elle était trop loin pour atteindre Lestara à temps. Sa seule chance était de hurler un avertissement. Elle ouvrit la bouche, mais nul son n'en sortit, car nul son n'en était jamais sorti.
Les cordes de l'etwahl firent soudain un bruit terrible qui ne quitterait plus jamais sa mémoire. Une vibration fit trembler l'air, et une faux mince jusqu'à l'immatériel se planta dans le corps de Lestara.
Sona rejoignit Lestara juste à temps pour empêcher le corps de tomber au sol dans une mare de sang. Les larmes roulaient sur le visage de Sona, et malgré son épouvante aucun son ne sortait de ses poumons.
L'image du couloir se dissipa dans l'obscurité, laissant Sona agrippée au corps de Lestara, l'etwahl innocemment posé à ses côtés. Les yeux de Lestara s'ouvrirent, et elle demanda doucement : « Pourquoi veux-tu rejoindre la Ligue ? »
L'esprit de Sona tituba, elle ne comprenait pas ce qui se passait. Soudain, elle sentit la chaleur de la magie des arcanes courir dans sa gorge, une sensation extraordinaire qui lui fit venir les larmes aux yeux. Le souffle qui parcourait sa gorge semblait, dans sa caresse, tenter de lui arracher un son à chaque exhalation. Sona incrédule regardait Lestara, qui approuvait de la tête pour l'encourager à parler.
Ouvrant la bouche, elle fut sur le point de parler pour la première fois de sa vie. Son souffle allait émettre son premier son quand une voix puissante surgie des profondeurs de sa mémoire résonna dans son esprit.
Cet instrument sera la clé qui t'ouvrira le monde. Il parlera pour toi plus fidèlement qu'une voix ne le pourrait. Rien d'autre, rien, ni nous, ni eux, ni aucune magie en ce monde, ne te possédera plus jamais.Presque par sa propre volonté, sa main se leva et s'abattit sur l'etwahl à ses côtés. Une dissonance retentit, effroyablement puissante, noyant toute parole qui aurait pu sortir de sa bouche. Alors que les harmoniques se mouraient, le souffle magique dans sa gorge disparut aussi. L'enchantement était évaporé, pour ne jamais revenir.
La voix de Lestara devint plus forte, comme un écho dans l'éther. « Pourquoi veux-tu rejoindre la Ligue, Sona ? »
Les cordes de l'etwahl tremblèrent pour jouer de leur propre chef, mais Sona posa sa paume dessus pour faire taire l'instrument. Il résista un moment mais finit par faire silence. Lentement, ses doigts commencèrent à courir sur les cordes. En hésitant, d'abord, comme pour tester l'instrument, elle joua une marche harmonique méfiante en réponse à la question.
« Quelle impression cela fait-il de partager ainsi ton esprit ? »
Ses doigts dansèrent sur les cordes, leur arrachant une cantilène d'isolement et de solitude. C'était le chant de ceux qui vivent leur vie invisibles aux autres, même quand ils sont sous leurs yeux, cherchant vainement l'attention de leurs semblables. L'air commençait pensif, comme un triste deuil, pour s'épancher dans un crescendo rageur. Les dernières notes vibrèrent d'une soudaine acceptation, d'une ardente catharsis.
Un sourire apparut sur les lèvres de Lestara. « Bienvenue dans la Ligue, mère des cordes. »
Lestara disparut et les ténèbres se dissipèrent pour révéler Sona, flottant devant deux portes ouvragées. Elle savait que ces portes menaient à la Ligue des Légendes.
Son etwahl, rassurant sous ses paumes, attendait le commandement de sa maîtresse. Sona franchit les portes sans un regard en arrière.