- Dusk Lumiris & Mana'arii:
Pokémon est un univers rempli de petites créatures aux capacités surnaturelles et où se trouvent des myriades d'îles et de régions, et Lumiris est l'une d'entre elles. C'est une région discrète et qui a longtemps été paisible, bien que quelques troubles soient venus la perturber et la chambouler pour de bon. « Dusk » est le nom donné au réseau pokéweb de l'île, et guide notamment les nouveaux dresseurs lorsqu'ils se lancent dans l'aventure. Pulsar, Nova, Pléïade, Éclipse, Météore et Nébuleuse ; tout ces noms constituent les groupes que rejoignent les dresseurs à leur arrivée sur l'île, afin qu'ils puissent s'épanouir et trouver leur voie.
Mana'arii est le septième enfant d'une fratrie de onze rejetons. Il a grandi à Alola entre la poussière et l'odeur de la ferme familiale. Plus jeune, il compensait son manque de force physique en aidant sa mère et Vai'ata à prendre soin de plus jeunes (et des plus vieux) membre de la fratrie.
Jusqu'à ce que cette dernière demande l'émancipation et parte loin d'eux. À la fois trahi par son alliée et abandonnée par sa soeur, Mana'arii lui en a personnellement voulu pendant des années... Et même lorsque son aînée a épousé les travers de la célébrité, même lorsqu'elle est revenue, il n'a jamais pu oublier. Le mal était fait.
Peu à peu, deux autres de ses frères et soeurs ont quitté leur Alola natale pour rejoindre Lumiris et ses promesses d'une vie meilleure. Il leur en a tous voulu personnellement... Jusqu'à ce que la colère lui monte au cerveau et que, sur un coup de tête, il parte pour Lumiris également.
Parce que, si eux le pouvaient, si eux pouvaient quitter le confort de leur famille... Alors pourquoi pas lui ?
Mana’arii le savait : la suppression de l’application n’aurait pas dû être une option.
Même s’il n’avait jamais pu s’y résoudre, c’était une douloureuse évidence qui lui sautait au visage à
chaque fois que le bleu nacré de ses pupilles croisait une nouvelle publication de Vai’ata Ehu-kai.
(Et Arceus savait que ça arrivait beaucoup trop souvent à son goût.)(Son activité témoignait bien de sa véritable utilité.)À tous les coups, la petite voix dans sa tête lui rappelait ce qu’il savait déjà : il se faisait du mal. Il se faisait du mal
volontairement.
À vouloir tout connaître du quotidien de sa soeur et à ne pas savoir tourner la page, il traînait sur son sillage le poids d’un exécrable fardeau dont la seule existence l’empêchait de s’épanouir complètement.
Au bout du compte, les années ne l’avaient pas changé : il demeurait un gamin meurtri par les décisions égoïstes d’une alliée factice, d’une chimère. Il ne grandissait pas, ne s’émancipait pas de la colère et de la frustration engendrées par le départ précipité de son aînée… Et lorsqu’il tentait de faire du sens, de soulager son cœur de ses innombrables démons, il revenait sans cesse à l’origine du problème :
Il n’avait pas été suffisant.Vai’ata était partie parce que Mana ne suffisait pas à son bonheur, parce que le sang qu’ils partageaient n’était pas assez convainquant la retenir… Elle avait eu besoin de plus, plus que ce que l’adolescent qu’il était à l’époque pouvait lui offrir.
(Plus que les étoiles qu’il pouvait lui promettre.)Les yeux rivés sur l’écran de son téléphone, Mana’arii progresse dans les artères d’Artiesta comme s’il y avait vécu toute sa vie. Dans sa progression tourmentée, il ignore autant les gens qu’il passe près de bousculer que les regards courroucés qu’il sème effrontément sur son passage : son attention est
ailleurs.
Elle est bien loin de effervescence de la ville lumière, bien loin de la politesse qui convient à quelqu’un de sa perfection.
(Jamais Lumiris ne saurait oublié son légendaire 8/10.)À la place, elle est captivée par l’image que lui renvoie l’objet et la photo sur laquelle ses yeux ont jeté leur dévolu lors de son rituel matinal.
Lumiris lui avait tout prit.
«
Franch’ment, Kane, j’sais pas ce que les gens lui trouvent: elle n’est pas si belle que ça... » Lance-t-il à l’intention du chiot qui le talonne de peine et de misère.
(Mauvaise foi, va.)Il ne s’en était pas rendu compte, mais l’agacement avait précipité sa progression dans les artères d’Artiesta et sa vitesse de croisière s’était peu à peu muée en
(presque) footing énervé. Le tableau n’avait désormais plus rien de joyeux ou de serein… Comme à chaque fois qu’il était question de Vai’ata.
Au fil des années, il avait peu à peu extrapolé le problème jusqu’à la tenir responsable de chaque petit drame survenu au cours de sa vie.
C’était de sa faute si Moeata n’avait pas voulu sortir avec lui à son treizième anniversaire.
C’était aussi de sa faute s’il avait échoué ses maths en CE1.
Et puis
(Pourquoi pas hein...), la famine, la guerre et le réchauffement climatique, c’était aussi sa faute.
Il n’y a avait pas un seul crime dont il ne la tenait responsable.
Pas un. Alors autant dire que s’il la suivait religieusement sur tous ses réseaux sociaux alors qu’il ne lui avait pas adressé la parole depuis quasi dix ans, c’était dans l’unique objectif de se donner de la matière pour mieux la détester.
(Mana’arii était donc un rageux et un hater. Glorieux.)Soupir.
Cesserait-il de se ridiculiser ainsi?«
Pis elle est pas tant douée que ça… Si? » Comme dans l’espoir de recueillir un peu de soutien, l’insulaire soustrait enfin son regard courroucé aux lignes de l’écran pour le rediriger vers le voltoutou.
Rien.
Même si ses billes nacrées se complaisent dans l’admiration silencieuse de leur dresseur, il n’est pas question pour le Pokémon de joindre ses aboiements au venin craché de ce dernier… Et c’est un refus de coopérer qui n’est malheureusement pas étranger à l’Alolien.
«
C’est bon. Ne dit rien. De toute manière, ne j’ai pas besoin de ton approbation pour savoir que j’ai rais-... »
Silence.
Silence lorsque, cessant d’utiliser Kane comme support visuel à son dégoût, il ramène doucement son attention vers cette foutue foule qu’il balaie du regard. Silence lorsque ses yeux s’attardent une seconde de trop sur le blanc polaire d’une chevelure et la chaleur d’une peau halée.Il est, certes, trop jeune pour mourir, mais l’argument ne suffit pas à son cœur qui cesse sitôt de battre. Le souffle court, il met un terme définitif à sa progression dans les rues d’Artiesta. Il a fait le pas de trop.
(Le pas de trop vers Vai’ata.)Non loin de lui, encerclée par les fans, sa sœur ne lui a jamais semblé aussi ridiculement inaccessible… Aussi chimérique. Entre ses doigts défilent papiers et crayons alors que le flash des appareils photos ramènent Mana sur terre : ils ne sont pas du même monde.
Cette vie, c’est elle qui l’a choisie.
C’est l’existence qu’elle a préféré à lui, c’est l’avenir qu’elle a estimé plus suffisante que leur fratrie…
Déglutissant, le brun détourne brusquement son regard du souvenir douloureux de son existence. Il mentirait s’il disait ne pas savoir que Vai’ata habitait ici et encore plus s’il affirmait ne pas avoir espéré
(secrètement) la croiser. Il aimait se faire du mal, Mana. Il aimait multiplier les bêtises, se croire surhomme alors qu’il n’était que gamin déboussolé. Il aimait se dire qu’il n’en avait rien à foutre, que le souvenir de sa sœur n’avait rien pour lui rien de plus que le goût amer de de la déception… Mais Arceus connaissait la grosseur indécente du bobard.
Paralysé par la surprise et le maelström d’émotions qui fait rage en lui, l’Ehu-kai reste interdit devant la scène.
Il ne dit rien, n’esquisse pas le moindre pas dans sa direction. Son cœur de gamin avait rêvé de ce jour, s’était convaincu qu’en la revoyant, il oublierait tout des larmes et de la colère… Mais il s’était lourdement trompé.
Même une fois à portée de main, les crimes ne disparaissaient pas.
En dépit de la douleur, il se sentait animé d’une seule envie : celle de lui hurler dessus jusqu’à s’en saigner les cordes vocales.
(Et, pourquoi pas, prouver son immaturité au monde entier.)Il avait envie de formuler tous les reproches emmagasinées des dernières années, toutes les insultes qu’il avait imaginé, tous les commentaires désobligeants qu’il s’était répété… Mais cela en valait-il vraiment la peine? Et s’il se dégonflait? Et si les mots lui manquaient?
Et si, au final, il ne faisait que se ridiculiser?
Mana’arii était le fruit des apparences entretenues et de l’image cultivée. Jamais il ne prendrait un tel risque, jamais il irait aux devants de ses craintes et de ses réticences.
Jamais.«
Viens, Kane… Partons. », murmure à peine assumé.
Il savait qu’il regretterait. Peut-être pas aujourd’hui, sans doute pas demain… Mais un jour, il se dirait qu’il aurait dû essayer.
Peu importe qu’il aurait pu en tirer, peu importe ce dont il aurait eu l’air.
Un jour, il s’en foutrait pour toutes les fois où il avait accordé trop d’importance aux apparences.
Mais pour aujourd’hui encore, c’est la fuite que Mana’arii avait choisi…